La « coalition de centre droit » dominée aujourd’hui par le parti d’extrême droite Frères d’Italie, associé à la Lega (de Matteo Salvini) et Forza Italia (de Silvio Berlusconi), a remporté les législatives qui viennent de se tenir en Italie. Giorgia Meloni, la leader des « Frères », premier parti de cette coalition, deviendra vraisemblablement dans quelques semaines la première femme à la tête d’un gouvernement italien.
Les formations de gauche, qui se sont présentées aux élections divisées, ont été vaincues. Et maintenant ? Ces formations peuvent-elles représenter une alternative viable au gouvernement qui sera sans doute prochainement mis en place ?
Les principaux acteurs politiques qui s’opposeront au futur gouvernement Meloni sont au nombre de trois : le Parti démocrate, le Mouvement 5 étoiles et l’Alliance centriste et libérale « Action » (Azione). La victoire de la coalition de droite est d’autant plus amère aux yeux des Italiens de gauche que si ces trois partis avaient créé une alliance pré-électorale, ils auraient très probablement remporté les élections, puisque la somme des voix qu’ils ont obtenues dépasse celle de la coalition gagnante (48 % contre 43 %). Cependant, cela n’a pas été possible en raison des divisions et des erreurs de stratégies de la direction des trois partis, qui se retrouvent désormais ensemble dans l’opposition, mais dans des positions très différentes.
Le Parti démocrate
Le Parti démocrate a récolté 19 % des suffrages, démontrant son incapacité à séduire des électeurs au-delà de son aire historique tant régionale (centre-nord) que socio-démographique (étudiants, classe moyenne supérieure, diplômés et habitants des zones urbains).
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Dans les mois à venir, le PD devra élire le nouveau secrétaire ou secrétaire qui remplacera Enrico Letta, sur le départ. Il lui faudra ensuite redéfinir son identité et se prononcer sur d’éventuelles alliances. Le parti fait face à un risque immédiat : s’il ne se relance pas avec un nouveau leadership et une nouvelle offre politique, il risque de céder la place au Mouvement 5 étoiles en tant que principal leader de l’opposition.
Pour l’instant, les premières indications laissent penser que le parti empruntera une voie différente de celle choisie par ses trois derniers secrétaires (projet néo-centriste avec Matteo Renzi, virage social-démocrate avec Nicola Zingaretti, et vision technocratique avec soutien à Mario Draghi avec Enrico Letta).
Soit il y aura un virage vers la gauche écologiste avec Elly Schlein, la vice-présidente de la région Émilie-Romagne ; soit un nouveau basculement vers le centre avec l’actuel gouverneur d’Émilie-Romagne Stefano Bonaccini, à la tête d’une coalition de maires et de présidents régionaux du PD. Dans les deux cas, une alliance renouvelée avec le Mouvement 5 étoiles sera mise sur la table dans les prochains mois.
Le Mouvement 5 étoiles
Au sein de l’opposition, le Mouvement 5 étoiles (15,5 % aux législatives du 25 septembre) est peut-être l’acteur le mieux placé. Longtemps en crise d’identité et de consensus et en déclin, la campagne électorale lui a permis d’achever sa transition d’un parti populiste antisystème vers ce que l’on peut définir comme une « Ligue du Sud ».
En effet, aujourd’hui, l’électorat du M5S se situe presque exclusivement dans le sud de l’Italie, où il est arrivé en tête, fort d’un programme clairement marqué à gauche qui a largement séduit les classes populaires et précaires méridionales : sa campagne électorale a été centrée sur le revenu de citoyenneté, un sujet sur lequel l’Italie se divise clairement autour de la fracture nord/sud. Mais cette transformation en parti représentant avant tout le Sud du pays lui impose de passer, à l’avenir, des alliances électorales afin de pouvoir espérer remporter des scrutins nationaux, comme il l’avait fait aux législatives de 2018, à une époque où son image était celle d’un parti radicalement nouveau, tourné vers l’ensemble des citoyens.
Les 15 % qu’il vient de recueillir et son statut de premier parti du Sud le rendent complémentaire avec l’électorat du PD (plutôt situé dans le centre et le nord du pays, et surtout dans les grandes et moyennes villes du pays) et l’obligent à envisager avec de dernier une alliance politique qui incarnerait, dans l’état actuel des choses, la seule alternative possible à un gouvernement de droite dans le pays.
Les partis centristes
Enfin, l’alliance centriste « Azione-Italia Viva », composée du parti « Azione » de Carlo Calenda et du parti « Italia Viva » de Matteo Renzi, bien qu’elle soit parvenue à obtenir un résultat honorable pour une nouvelle formation politique (7 %), n’a pas réussi à influer significativement sur les résultats des élections, se révélant insuffisamment attractive pour les électeurs de centre droit modérés, qui se sont davantage tournés vers Forza Italia et la Ligue.
Dans le nouveau Parlement, le pôle centriste (21 sièges sur 400 à la Chambre, et 9 sur 200 au Sénat) risque, au moins dans un premier temps, d’être marginal.
Cependant, à moyen terme, son attractivité politique pourrait augmenter, surtout si le PD venait à se repositionner plus à gauche, laissant de l’espace aux formations centristes. Dans ce cas, l’espace pour ce camp libéral pourrait grandir.
L’opposition restera-t-elle longtemps dans l’opposition ?
Le système politique italien n’a pas encore trouvé de stabilité : la volatilité de l’électorat, la faiblesse et la personnalisation des partis, les limites constitutionnelles et les problèmes structurels socio-économiques continueront à rendre les gouvernements faibles et précaires.
L’opposition aura les prochaines années pour construire une alternative crédible à l’actuelle majorité gouvernementale, qui va devoir diriger le pays dans un moment extrêmement critique, entre la crise énergétique, l’inflation, la guerre en Ukraine et la nécessité de mettre en place le plan de relance européen. Dans ce contexte, il est clair que pour le Parti démocrate, le Mouvement 5 Étoiles et Azione, le positionnement dans l’opposition constitue un avantage stratégique.
N’oublions pas, toutefois, qu’il n’y a aucune garantie sur la durée du gouvernement qui est en train d’être mis en place. Depuis 1994, l’Italie a connu 16 gouvernements, avec une durée moyenne de moins de deux ans. Entre les trois partis de la coalition gouvernementale, les tensions existent, même si elles ont été cachées pendant la campagne électorale. En cas de crise, de « grandes coalitions » englobant des partis de droite et de gauche, ou des gouvernements techniques, pourraient faire leur retour, ce qui pourrait bouleverser la construction d’une alternative électorale à la droite actuellement au pouvoir…
Luca Tomini, Chercheur qualifié FNRS. Professeur en science politique (ULB), Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.